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Tyrans et Démocratie sur un terrain de foot

  • louisfilliot
  • 14 mai 2020
  • 8 min de lecture

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(Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie : pour les curieux voulant connaitre l'histoire derrière cette image, c'est ici)


Dans la tête de Fidel Castro :


Quand Fidel Castro arrive au pouvoir en 1959, il annonce la tenue prochaine d'élections libres. Malheureusement, sa mort précoce en 2016 l'a empêché de réaliser sa promesse...

C'est sur cette phrase humoristique que je voulais commencer pour poser la question de ce qui se passe dans la tête de Fidel Castro, ou tout dirigeant, lorsqu'il prolonge son pouvoir au delà de ce qui était prévu.

Il y a d'abord l'hypothèse du dirigeant assoiffé de pouvoir par nature, et prêt à tout pour le garder. On pourrait ainsi imaginer que Fidel Castro n'aie jamais eu l'intention d'organiser des élections, ni de laisser le pouvoir. C'est une hypothèse possible, mais pas forcément la plus vraisemblable. Fidel Castro venait de renverser la terrible dictature de Fulgencio Batista et on peut raisonnablement penser que ses intentions n'étaient pas de partir sur un pouvoir autoritaire de 50 ans. De manière générale, quand un pouvoir autoritaire survient, il ne se qualifie jamais comme tel. Jamais on ne vous dira : "maintenant commençons la dictature, elle est nécessaire !" On vous dira plutôt "La situation de crise exceptionnelle, d'insécurité, de rébellion, violence et terrorisme, nous oblige a prendre des mesures sécuritaires fortes et à prolonger l'état d'urgence".

Le pouvoir autoritaire ne se déclare jamais comme tel, parfois par souci de communication politique et de propagande, mais dans certains cas car lui même ne se considère pas (encore) comme un pouvoir autoritaire.

Faisons donc cette hypothèse, qui n'a rien de certaine mais est parfaitement plausible : Fidel Castro renverse la dictature de Batista avec l'intention ferme de rétablir un état démocratique, reconstruire des institutions démocratiques, réparer quelques dommages de la dictature puis laisser le pouvoir après quelques années. La question qu'il faut alors se poser est : pourquoi alors aurait-il finalement gardé le pouvoir tant que sa santé le permettait ? C'est, je crois, une question primordiale pour savoir comment empêcher nos dirigeants d'outrepasser leurs prérogatives...


L'analogie du terrain de foot


Lorsque je jouais au foot dans une ligue amicale à Montréal, nous étions en général entre 10 et 15 joueurs pour seulement 7 joueurs à la fois sur le terrain. Nous avions le droit de faire des substitutions illimitées, à tout moment. Pour éviter de se fatiguer, nous avions donc intérêt à faire des changements très réguliers : par exemple 10 minutes sur le terrain, puis 5 à 10 minutes de repos suivant le nombre de remplacements que nous avions. En milieu compétitif, nous aurions eu intérêt à faire jouer plus longtemps les meilleurs joueurs et à garder les autres comme remplaçant lorsque les bons joueurs étaient trop fatigués. Mais comme on s'inscrivait pour jouer et s'amuser sans enjeu et non pour rester sur le banc, il était convenu par tous que chacun devait rester un temps environ équivalent sur le terrain.

Pourtant vous vous en doutez, alors que certains, fatigués rapidement, sortaient au bout de 5 minutes, d'autres joueurs tardaient beaucoup plus à sortir, faisant plus ou moins semblant de ne pas voir le temps passer. Au delà d'un certain temps, disons 15 minutes, les joueurs sur la touche se rendaient compte que le joueur était sur le terrain depuis longtemps et devait l'appeler pour lui demander de sortir. Parfois,, il fallait plusieurs appels, dont celui du capitaine de l'équipe, pour qu'il sorte.

On peut alors se demander ce qui pousse un joueur à rester sur le terrain : son bon niveau ou ses qualités techniques ? Pas forcément... Par pur égoïsme ? Peut-être mais ça me semble une explication un peu faible...

Puis un jour, mon capitaine d'équipe m'a dit une phrase forte de sens : " y en a, ils se sentent investis d'une mission, ils croient que si ils ne sont plus sur le terrain, plus rien ne fonctionnera". Et pour cela, nul besoin de se considérer comme meilleur joueur que les autres : moi même, je ne faisais clairement pas partie des meilleurs joueurs de l'équipe, et pourtant parfois j'entendais une petite voix dans ma tête me dire : "bon, ok, la tu as pas super bien joué, mais reste encore 2 minutes, peut-être que tu vas te rattraper maintenant et marquer, tiens d'ailleurs la on attaque, pas le moment de sortir ! Bon attaque ratée, mais maintenant l'équipe adverse attaque, vite en défense vas-y ! Pas le moment de sortir tout de suite !". En fait, il y a toujours une situation exceptionnelle qui justifie de rester sur le terrain...

Je crois que le sentiment d'un dirigeant qui reste au pouvoir est similaire à cela. Il ne se dit pas je vais rester 50 ans, il se dit : allez encore 2 ans la j'ai presque fini tel projet, encore 2 ans la c'est la crise on a besoin de moi, le régime est en danger a cause de tous mes opposants, je dois rester encore quelques années pour me débarrasser d'eux. La aussi, on peut toujours trouver une situation exceptionnelle comme justification personnelle (ou justification publique), pourtant la succession de situations exceptionnelles, rien de plus normal !

Le dirigeant se sent investi d'une mission et pense avoir des choses importantes à faire. Reste t'il au pouvoir par égoïsme ? Si l'on voit les choses de manière très rationnel, il serait sans doute beaucoup plus tranquille en se réservant une retraite dorée dans un pays au soleil... Reste t'il car il pense être le meilleur ? Sans doute se sent-il indispensable, mais pour autant est-ce qu'il considère que pas une seule personne au pays serait capable de le diriger ? Je ne crois pas, la preuve : lorsqu'il nomme un successeur il dit avoir pleinement confiance en ce successeur.

Je crois la réponse beaucoup plus prosaïque : il reste au pouvoir car il a la possibilité d'y rester et qu'il espère arranger les choses (même lorsqu'il voit bien que la situation se détériore, tant que les Alliés n'étaient pas dans Berlin, Hitler croyait toujours pouvoir inverser la tendance de la guerre...). Souvent, le dirigeant est de plus en plus déconnecté des réalités du pays, entouré de conseillers qui veulent le flatter pour travailler leur position et leur carrière. Ainsi, le dirigeant se prend au jeu : comme un gamin qui voudrait terminer son jeu vidéo, il ne s'en détachera que s'il n'a pas le choix, si ses parents éteignent la console.



Les limites du pouvoir


Revenons au terrain de foot, chaque joueur est investi d'une mission, l'équipe lui confère un "pouvoir": le pouvoir d'infléchir le cours du match. Chaque joueur est alors porté à en abuser. Il ne s'agit pas d'individualiser le problème en faisant porter le blâme sur un individu qui abuserait par nature, sans savoir pourquoi ni comment l'en empêcher. Jusqu’où va le pouvoir ? Réponse de Montesquieu : il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. C'est ces limites qui nous intéressent !

Lorsque je jouais, après la première voix qui me disait de rester sur le terrain, une seconde voix venait : "depuis combien de temps je suis sur le terrain, 10 minutes, 15 minutes ? Est-ce que les autres joueurs vont me regarder de travers car je reste trop longtemps ? Est-ce qu'ils vont me rappeler à l'ordre, me demander de sortir, est-ce que je vais passer pour un égoïste ?". Pour d'autres joueurs, la limite était physique : la fatigue arrivait rapidement et pousser à sortir. On identifie ainsi deux limites possible à tout pouvoir :


  • La fatigue du pouvoir : par exemple Nicolas Sarkozy déclarait en 2008 : "Mon prochain statut sera ancien président, et celui-là durera très longtemps. Alors je ferai comme Bill (comprendre : Clinton) ou comme Tony (comprendre : Blair) : je ferai des conférences et là, je me bourrerai (comprendre : je m'en mettrai plein les poches)!". Visiblement, quitter le pouvoir ne semblait pas du tout être une catastrophe pour l'ancien président... Et pourtant il a tout de même brigué un second mandat ou il a perdu, puis il a voulu revenir en 2017 à la primaire de la droite car le pays avait besoin de lui... Pour revenir à Fidel Castro, il laissera finalement le pouvoir en 2006 lorsque sa santé commencera à décliner. Faut-il donc compter sur la fatigue du pouvoir pour que le dirigeant s'en aille ? Je ne crois pas...

  • La pression sociale : comme le dit Montesquieu, "Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir". Ce qui arrête le pouvoir c'est ainsi la loi et la constitution. Mais pour que les lois de cette constitution ne soient pas transgressées, il faut que le contre-pouvoir associé à cette constitution soit fort, en tout cas plus fort que la volonté d'abus de pouvoir du dirigeant. Tout pouvoir est donc dans un rapport de force avec des contre pouvoirs veillant à l'application des lois : le conseil constitutionnel, la justice, le parlement, et surtout le peuple qui en démocratie prête le pouvoir au dirigeant. Ainsi qu'est ce qui empêche un président élu de rester au pouvoir sans organiser d'élections ? Au delà de la constitution qui stipule les règles du pouvoir, c'est aussi le sentiment que ce n'est même pas la peine d'essayer, tant l'opposition populaire, médiatique ou judiciaire serait forte. Autrement dit, le rapport de force n'est pas en faveur du dirigeant : son pouvoir est arrêté par un pouvoir plus grand, celui des contre pouvoirs qui n'accepteront surement pas la reconduite unilatérale du mandat électorale. Le dirigeant intériorise donc cette limite qui n'est donc même pas attaquée. De même, sur le terrain de foot, le rapport de force n'est pas en faveur du joueur qui sait pertinemment qu'il va devoir sortir à un moment ou un autre, par pression sociale des autres joueurs (et du capitaine) qui veillent au grain.


Ainsi, grâce à ses limites, il n'a jamais été nécessaire d'en venir aux mains pour faire sortir un de ses joueurs sur le terrain foot : jamais personne n'est resté tout le long du match alors qu'il y avait des remplaçants, le pire qui soit arrivé est un ou deux rappels à l'ordre. En effet, les règles étaient claires et admises par tous, la vérification de leur application facile, et les joueurs sur le banc étaient vigilants (ils voulaient jouer eux aussi !).

Dans une démocratie digne de ce nom, aucun dirigeant n'essaie d'être reconduit sans élection, ou n'essaie de truquer les élections, sentant bien que les conséquences seraient importantes et que la résistance populaire serait forte. Mais pour cela, il faut que les contre-pouvoirs soient importants et les citoyens dans leur ensemble soient vigilants aux abus de pouvoirs, pour pouvoir les dénoncer lorsqu'ils adviennent. Si les contre-pouvoirs sont faibles, cela ne veut pas forcément dire que le président en place va devenir un dictateur, mais cela veut dire que ça pourrait arriver à l'avenir. S'en remettre à la seule vertu individuelle d'un dirigeant est une technique très risquée : par exemple peut-être que Macron préférerait une belle carrière dans le privé après un ou deux mandats, mais en est-il de même de tous les futurs élus ?

Dans la république de Weimar des années 30 en Allemagne, un système à élection dit démocratique était en place, mais n'a pas su lever le drapeau rouge lors des différentes entraves à la loi d'Hitler qui lui ont permis de prendre le pouvoir.


Mieux vaut donc toujours se prémunir contre les abus de pouvoir en étant vigilants et en mettant en place de bons contre-pouvoirs. Le risque : des citoyens qui se désintéresse complètement de la chose publique, trop occupé par leurs préoccupations quotidiennes. Ce serait comme des joueurs remplaçants qui vont boire une bière au bar d'à coté, ne soyons alors pas surpris si les joueurs restent sur le terrain.


En espérant que ce blog contribue, modestement, à notre vigilance collective !


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