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Devrions-nous créer des emplois peu importe en quoi ils consistent ?

  • louisfilliot
  • 15 nov. 2020
  • 8 min de lecture

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Dans le discours politique et médiatique, un thème est devenu omniprésent depuis plusieurs décennies avec l’apparition du chômage de masse : la création d’emploi. Toute politique sociale, économique ou écologique est maintenant assujettie à cet impératif : le projet en question va-t-il « créer de l’emploi » ?


Dès lors s’instaure une relation de dépendance et de soumission envers ceux qui prétendent créer ces emplois, les entreprises en croissance qui « réussissent ». En 2017 le premier ministre Édouard Philippe répondait à des accusations contre Sanofi à propos du scandale sanitaire de la Dépakine en déclarant qu’il ne faut pas dénigrer une entreprise qui fonctionne bien, qui ``crée de la richesse en France``. De quelle richesse parle-t-on ici ? Si une entreprise pharmaceutique commercialise un médicament sans toutes les précautions nécessaires et que cela cause des complications médicales, peut-on dire qu’elle a créé de la richesse ? Dans le discours dominant, on répondra que oui, car à l’évidence elle emploie de nombreuses personnes et ceci semble être le meilleur des alibis pour n’importe quelle inculpation sanitaire, sociale ou écologique.


On comprend aisément d’où nous vient cette obsession de la création d’emplois : dans notre mode de production capitaliste, le salaire est attaché à l’emploi. Privé d’emploi, on est aussi privé de salaire et on rejoint alors ce que Marx appelle l’armée de réserve du capitalisme, c’est-à-dire la masse de sans-emplois. Comme le décrit Frédéric Lordon dans La société des affects, la peur de ne pas pouvoir assurer ses conditions basiques d’existence est la première des causes qui nous pousse à l’emploi.

L’association emploi-salaire étant tellement imprégné dans nos esprits, nous en sommes amenés à réclamer des emplois, en oubliant que ce que nous voulons c’est avant tout un salaire. Comme le disait avec humour Coluche : « A la télé ils disent tous les jours, il y a 3 millions de personnes qui veulent du travail, c’est pas vrai de l’argent leur suffirait »

Le travail : la création de valeur


Faisons un petit détour par quelques définitions économiques marxistes : ce salaire, il s’agit simplement de monnaie gagnée en échange de notre force de travail. La monnaie est simplement le bien qui a la même valeur d’échange pour tous, et nous permet donc d’échanger les biens et services dont nous avons besoin ou envie, sans recourir au troc. Le troc nous obligerait à trouver quelqu’un prêt à échanger le bien ou service que l’on veut obtenir contre un bien ou service que l’on pourrait donner. Avec la monnaie comme intermédiaire, on peut obtenir un bien ou un service avec la monnaie obtenue au préalable.

Ainsi, ce que nous avons besoin c’est de monnaie nous permettant de recevoir les biens ou services dont nous avons besoin, biens ou services qui ont une certaine valeur donnée. Donc, pour créer de la monnaie utilisable, il faut créer de la valeur c’est-à-dire des biens ou services que les gens ont besoin ou envie, des biens ou services pour lesquels des personnes seraient prêtes à payer (échanger leur monnaie) pour pouvoir en disposer. Comment cette valeur est-elle créée ? Réponse : par le travail.


Reprenons la définition du travail donnée par le philosophe québécois Alain Deneault : Le travail c’est la mise en relation entre d’une part des besoins, envies ou aspirations collectives a d’autre part des compétences, des volontés, des forces d’agir. Revenons à la citation de Coluche, on comprend donc bien qu’il faudra du travail pour créer l’argent (la monnaie) voulue par ces 3 millions de chômeurs. Dans cette citation et dans le langage courant, quand on dit que les gens cherchent un travail, on veut en fait dire qu’ils cherchent un emploi, auquel le salaire est associé actuellement. Définissons simplement un emploi par un contrat définissant une tâche effectuée en échange d’une rémunération.

Tout d’abord une précision : on peut aussi créer de la valeur (travailler) sans pour autant être employé, sans être rémunéré pour la tâche créatrice de valeur. Par exemple, un bénévole, retraité, chômeur ou femme au foyer peut travailler s’il effectue une tache qui satisfait un besoin ou une envie, par exemple un grand parent retraité qui garde les petits enfants quand les parents ne peuvent pas. En ce sens, peu importe si l’activité est rémunérée ou non (emploi ou bénévole), toute activité peut ou non constituer un travail. Dans toute la classification des activités qui suivra, on ne distinguera donc pas les cas d’emploi ou de bénévole. On regroupera ces deux grands ensembles sous le terme générique d’activités productives. Le terme productif est ici à prendre au sens premier : « qui produit quelque chose », et donc pas nécessairement une activité productrice de valeur (un travail).

Une fois ces distinctions entre emploi et travail rappelées, la question centrale qui se pose alors est la suivante : quand on obtient un emploi salarié, c’est-à-dire lorsqu’on effectue des tâches pour un employeur contre rémunération, ces taches constituent-elles pour autant un travail ? Autrement dit, l’emploi permet-il toujours de créer de la valeur, c’est-à-dire de satisfaire un besoin, une envie ou une aspiration collective ? On voit bien ici qu’on a envie de répondre d’instinct : « Pas toujours », chacun sent en son for intérieur que tous les « emplois ne se valent pas », surtout en période de grande crise sanitaire comme celle du coronavirus qui nous force à nous poser la question de quelles activités sont essentielles, lesquelles satisfont des envies non indispensables, lesquelles sont inutiles. On a tous déjà entendu parler du terme générique des bullshit jobs (parfois traduits par métiers a la con), pourtant aucun d’entre nous ou presque ne considère avoir un bullshit job ! Une explication possible est que chaque emploi ou poste possède une part plus ou moins importante d’activité génératrice de valeur (travail) et d’activités inutile, voire nuisibles.

Avec cette vision des choses, on voit bien que pour créer la valeur nécessaire à notre société, plutôt que de chercher en vain à créer des emplois, peu importe lesquelles, on peut aussi chercher à augmenter la part d’activités constituant du travail et à réduire celle des activités inutiles et nuisibles. En effet, s'il n'y a pas assez d'emplois pour tous, il y a largement assez et même trop de travail pour nous tous : les jeunes à éduquer, les vieux et malades à soigner, la loi à faire respecter... que signifierait un monde ou il n'y a plus de travail ? Ce serait un monde ou si vous allez dans n'importe quelle association humanitaire, sociale ou environnementale pour y proposer votre aide, on vous dira : non merci ça va c'est gentil, à l'école nous avons déjà un enseignant pour 10 élèves pas besoin de plus, pas besoin d'aides pour les malades ou les personnes âgées car les médecins ont déjà du mal à occuper leurs journées, très peu de personnes vont les voir etc...


Pourquoi classifier les emplois ?


Quelles sont donc les activités inutiles ou nuisibles à réduire ou à remplacer ? On voit bien que ce terme d’activités inutiles ou nuisibles est flou, trop générique et on voit mal quelles activités précisément on désigne derrière cela. Qualifier ces activités, les définir avec des noms simples connus de tous, c’est déjà une première étape pour faire progresser l’opinion publique et lutter contre un problème complexe, car nommer un problème permet de le visualiser et de le critiquer plus facilement.


Ainsi, sous un autre registre, l’utilisation du terme d’obsolescence programmée a sans aucun doute facilité un éveil des consciences contre cette obsolescence programmée. Chaque cas d’obsolescence programmée est reconnu comme tel et peut être dénoncé. Sans ce terme, il faudrait à chaque cas redéfinir tout le terme en expliquant que le produit va se détériorer et que cela a été voulu de manière explicite par le fabriquant… Nous connaissons actuellement une situation similaire avec toutes les activités nuisibles ou inutiles : pour chacune d’entre elles le caractère inutile ou nuisible n’est pas reconnu immédiatement. On nous répond que la publicité créé de l’emploi et est nécessaire à l’entreprise par exemple. Comme si l’obsolescence programmée ne créait pas d’emplois et ne pouvait pas être bénéfique à l’entreprise non plus. Or personne, ou presque, osera défendre l’obsolescence programmée désormais. Il faut juger de l’utilité d’une activité selon le seul critère : satisfait-il un besoin ou une envie d'un ou plusieurs individus ? Et non suivant s’il satisfait le besoin d’une entreprise qui ne devrait être qu’un outil satisfaisant les besoins et envies des individus.

Nous nous proposons donc ici de faire une classification de toutes les activités productrices, travail ou non, pour pouvoir reconnaître, désigner puis dénoncer facilement toute activité inutile ou nuisible. Il ne s’agit pas ici de dire qu’il serait possible de construire une société sans aucune activité inutile. Il s’agit au moins de les reconnaître en tant que tel et donc de tendre à les réduire plutôt que vouloir les favoriser au seul motif que « ça créé de l’emploi ».


Travail, Non-Travail et Anti-Travail :

Toute tâche ou activité peut être classée dans l’une des 3 grandes catégories suivantes : le Travail, le Non-Travail et l’Anti-Travail. Chacune de ces catégories peut être subdivisée en de multiples sous catégories que nous décrirons plus tard.


Comme défini précédemment, le travail regroupe toutes les tâches et activités qui créent de la valeur, c’est-à-dire qui permettent la satisfaction d’un besoin, d’une envie ou d’une aspiration collective. On pourrait aussi le définir par la production de biens ou de services pour lesquels un individu serait prêt à payer afin d’en bénéficier lui-même. Si quelqu’un paie pour créer et diffuser une publicité, l’individu paie pour montrer cette publicité à autrui, pas pour regarder la publicité lui-même. Cette distinction est importante : cela range alors les emplois liés à la création et la diffusion de publicités dans la catégorie du non-travail.


Le non-travail regroupe toutes les activités qui ne produisent aucune valeur. Ces activités ne contribuent pas, même indirectement, à la satisfaction d’une envie ou d’un besoin. Attention, parfois la production d’un objet pourrait sembler n’avoir aucune valeur pour la société car la contribution au produit ou au service final est très lointaine ou indirecte. Il ne s’agit cependant pas de non-travail car il y a une contribution lointaine a un besoin. Ainsi par exemple, de la recherche fondamentale ou mathématique n’est pas à ranger dans la catégorie du non-travail. D’une part, les mathématiques peuvent avoir des applications futures jusque la inimaginées. D’autre part, on peut aussi considérer qu’elles contribuent à la satisfaction d’une aspiration collective : la progression du savoir. En ce sens, la recherche mathématique peut être considérée comme du travail et non du non-travail.


Même si le non-travail ne produit pas de la valeur pour la société, il n'en supprime pas non plus. Cependant il requiert du temps et de l'énergie, sans aucune valeur ajoutée. Dans un contexte où on cherche à économiser de l'énergie, il faudra donc réduire le non-travail ou alors le remplacer par du travail.


Si une activité supprime ou réduit de la valeur existante, on la range alors dans la catégorie de l'anti-travail.


Le schéma suivant résume ces définitions et cette première classification globale :

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Alors concrètement, ce non-travail, cet anti-travail, en quoi consistent-ils ? existent ils vraiment ? Sont-ils courants ?


Je crois fortement qu'ils sont omniprésents dans notre société contemporaine et je vais tâcher de les détailler dans de prochains articles. En attendant, je vous laisse réfléchir à propos d'où vous classeriez les activités suivantes :


- Destructions d'invendus

- Optimisation de placement financiers

- Création et mise en ligne de publicités

- Démarchage de nouveaux clients non sollicité

- Bridage de performance

- Production et utilisation d'armes

- Collecte de financements

- Preuve de concept, réponses à appel d'offre...

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