Jancovici (2/2) : Quelle transition énergétique ?
- louisfilliot
- 6 mai 2020
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 mai 2020
Jancovici, l'homme qui va bouleverser vos croyances en matière d'énergie (2/2)

Après un premier article sur la nécessité de récession économique, il s'agit maintenant de voir comment opérer cette récession pour qu'elle s'effectue avec le minimum d'émissions. Vient donc la question de quelle énergie utiliser...
Commençons par expliquer ce que Jancovici appelle l'équation de Kaya, pour bien comprendre les enjeux de la transition énergétique.
L'équation de Kaya
Avec cette petite équation mathématique assez simple, on peut dégager 4 marges de manœuvre pour baisser les émissions de gaz à effet de serre dès maintenant (sans attendre le caractère subi du à l'épuisement des combustibles fossiles). L'équation s'écrit ainsi :
Émission de GES = Contenu en GES de l'Énergie * Intensité énergétique de l'économie * Production Par Personne * Population
Quiconque voudrait baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES) en baissant l'un des 4 facteurs pendant que les 3 autres augmentent, est au choix un ignorant, un fou ou un dogmatique aveugle ! Pour rappel l'objectif à atteindre d'ici 2050 est une division par 3 des émissions.
Explicitons les 4 termes :
• La Population tout d'abord, on comprend facilement qu'en effet une baisse de la population, sans augmentation de la production par personne, entrainerait une baisse des émissions. Mais Jancovici écarte vite cette possibilité, qui parait très difficile à mettre en pratique (et est-ce souhaitable socialement ? On peut atteindre une stagnation de la population en améliorant les conditions d'accès à la contraception pour atteindre une moyenne de 2 enfants par femme comme dans la plupart des pays occidentaux. Pour une baisse de la population il faudrait s'interdire d'avoir plus d'un enfant par femme par exemple...)
• L'intensité énergétique de l'économie correspond au ratio quantité d'énergie sur PIB. On peut donc baisser ce facteur en améliorant l'efficacité énergétique par des améliorations technologiques : la même quantité d'énergie produit plus de valeur. Cette solution est l'unique solution retenue par les défenseurs d'un capitalisme vert, car elle ne remet pas en question le dogme de la croissance. Cependant les gains escomptés sur ce facteur sont faibles et largement compensés par l'augmentation des autres facteurs : 30% en 35 ans, très loin de la division par 3 qui serait requise (à production et population constante) pour atteindre l'objectif de réduction des émissions.
• La production par personne correspond au PIB par habitant. On l'a vu, ce facteur va diminuer à un moment ou un autre, de manière voulue ou subie. Mais en attendant, si on veut continuer une croissance de 2% par an, avec les deux premiers facteurs qui continuent leurs évolutions actuelles, il faudrait diviser par 4 le dernier facteur :
• Contenu en GES de l'énergie : correspond aux émissions de GES moyen pour chaque kWh d'énergie consommée. Ceci peut être diminué en augmentant la part de renouvelables ou de nucléaire et diminuant la part de combustibles fossiles. A cause de différentes contraintes physiques, on ne peut pas compter uniquement sur ce facteur pour diminuer les émissions. Le bois et d'hydroélectricité prennent de la place ou des configurations géographiques que nous n'avons pas partout. L'éolien et le solaire demandent une grande quantité de métaux. Le nucléaire utilise de l'uranium dont le stock est fixe et fini. A un moment ou un autre on manquera de matières premières et sans matières premières pas de production, même si l'on a du capital et des travailleurs ! Donc descendre ce facteur n'empêchera pas de décroître à un moment ou un autre...
Même si l'on va devoir décroître a un moment ou un autre, décarbonner l'économie, c'est à dire remplacer les combustibles fossiles par des énergies renouvelables ou de l'énergie nucléaire, peut permettre d'atteindre l'objectif de réduction des émissions plus rapidement, sans diviser la production par 3 directement. Cela peut servir d'``amortissement``, pour ne pas décroître trop vite, pour assurer une certaine stabilité sociale, et aussi pour que le maintien relatif de la production (sa diminution lente) se fasse en émettant le moins possible pour atteindre une quantité de CO2 finale dans l'atmosphère la plus basse possible.
La question qui se pose alors est celle du choix de l'énergie sans carbone la plus adaptée pour remplacer les énergies fossiles.
Le choix du bois et de l'hydroélectricité est intéressant pour les pays vastes et peu densément peuplés comme le Québec ou les pays scandinaves. En France, cette solution reste limitée par des contraintes géographiques.
Il reste alors deux solutions en concurrence : le nucléaire ou l'éolien et le solaire. Sur cette question d'importance capitale, Jancovici a réussi à faire évoluer ma position.
La remise en questions d'opinions : nucléaire ou renouvelables ?
Même si cela fait longtemps que je ne considère plus l'éolien et le solaire comme des solutions miracles pour baisser nos émissions, Jancovici m'a donné plusieurs arguments supplémentaires à cela, et m'a amené à reconsidérer le nucléaire comme une alternative ``moindre mal``, afin d'amortir la décroissance sans trop émettre en attendant.
L'éolien et le solaire : énergies inefficaces et surestimées ?
D'abord, la première chose à savoir sur les énergies renouvelables en général est qu'elles sont loin d'être nouvelles ! En fait on estime même qu'elles étaient majoritaires dans le monde encore en l'an 1900 ! On les a ensuite remplacé par les énergies fossiles car beaucoup plus efficaces. Si on avait pu connaitre le développement que l'on a connu au 20ème siècle avec des moulins à vent, à eau, fours solaires, bois et animaux, on l'aurait fait !
Il faut donc être conscient qu'un retour au renouvelable, bien qu'inéluctable, s'accompagne d'une baisse de productivité et d'efficacité. L'autre alternative pour baisser les émissions est le nucléaire.
Pour comparer ces deux possibilités, Jancovici utilise un indicateur qu'il appelle le Coût à la tonne de CO2 évitée, c'est à dire combien nous coûte le fait de ne pas émettre une tonne de CO2 en utilisant une énergie plutôt qu'une autre. Par exemple, le gaz étant moins polluant que le charbon, utiliser du gaz plutôt que du charbon peut être une solution envisagée. Mais le meilleur coût à la tonne de CO2 évitée, en France, c'est celui du nucléaire.
En effet, même si la France est dépendante des importations d'uranium, l'uranium peut se stocker facilement d'avance et est facilement importable. La construction d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques ne peut pas se faire localement, elle requiert des métaux que nous ne possédons pas.
L'extraction et l'importation de ces métaux est plus énergivore que l'importation d'uranium (si l'on compare avec des quantités d'énergie qu'ils permettent de produire égales). Le graphique suivant compare les émissions induites par la production d'une même quantité d'énergie par différentes sources :

Ainsi, pour produire l'énergie équivalente à une tonne de pétrole, cela coûtera 19 kg d'équivalent carbone avec l'énergie nucléaire, contre 316 pour le photovoltaïque et 32 pour l'éolien. Au passage, cela signifie que la production d'énergie solaire photovoltaïque émet seulement deux fois moins que le gaz naturel. Peut mieux faire pour une énergie propre...
Des énergies intermittentes
Autre élément important à prendre en compte : quand on compare le coût de production du MW d'énergie nucléaire par rapport au MW d'énergie éolienne (ou solaire), on oublie souvent de prendre en compte le caractère intermittent de l'énergie éolienne. Pour le dire de manière imagée, le MW d'énergie nucléaire permet de faire partir le train prévu à 8h à 8h, tandis que le MW d'énergie éolienne permet de faire partir le train quand il y a du vent !
Ces deux quantités d'énergie n'ont donc pas la même valeur économique et sociale. Si l'on veut réellement comparer ces deux types d'énergie, il faut ajouter dans le calcul du coût de la tonne de CO2 évitée le coût de batterie ou autre moyens de stockage de l'énergie à l'éolienne.
Il y a cependant une autre possibilité que Jancovici ne considère pas comme souhaitable : accepter le caractère intermittent de ces énergies est rentrer complètement dans une société post-décroissante avec réseaux électriques instables et coupures de courant très régulières ce qui modifierait complètement notre société et notre rapport au temps : imaginez un monde ou le train part quand il y a du vent, ce serait un monde où vous achèteriez un billet de train sans date plus précise que ``du 1 au 7 mai``, on vous appellerait ensuite le 4 mai pour vous dire que le train va pouvoir partir !
Cette solution serait envisageable, mais bouleverserait radicalement notre société. Jancovici l'écarte pour cette raison, il cherche des solutions qui bouleverseraient le moins possible l'organisation de notre société. Je laisse le lecteur juger si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Dans tous les cas c'est avec cette vision des choses que Jancovici est amené à recommander l'utilisation de l'énergie nucléaire.
L'énergie nucléaire : l'amortissement possible de la décroissance ?
Jancovici ne nie pas que l'énergie nucléaire possède des inconvénients, mais relativise ceux-ci et considère ces risques et inconvénients comme un moindre mal, des inconvénients en tout cas bien moins important que les autres options possibles : l'émission de gaz à effet de serre.
Voici les trois principaux inconvénients de l'énergie nucléaire que l'on peut citer :
• Le risque d'accident majeur : Ici Jancovici remet les choses en perspective : il y a eu 3 accidents nucléaires dans l'histoire de l'humanité : Three-Mile Island aux Etats-Unis, Fukushima au Japon et bien sûr Tchernobyl en actuelle Ukraine. D'après l'UNSCEAR, commission des nations unies pour l'étude des rayonnements ionisants, les accidents de Three-Mile Island et Fukushima n'ont causé aucun mort dû à l'effet des rayonnements. Le nombre de morts directs et indirects causés par l'explosion de Tchernobyl est sujet à de nombreuses controverses. Il se compte en tout cas par milliers. Mais le réacteur de Tchernobyl n'est en rien comparable aux réacteurs français. D'après Jancovici, un éventuel accident nucléaire en France serait davantage similaire à ceux de Three-Mile Island ou Fukushima. Dans tous les cas, il faut mettre en regard ce nombre de morts avec le nombre de mort possible avec le réchauffement climatique...
• La gestion des déchets nucléaires : on ne sait pas quoi en faire à part les mettre dans un trou à Bure dans la Meuse. Ils mettront des milliers d'années avant de ne plus être radioactifs. Cependant, il faut comparer cette nuisance au CO2 qu'on laisse dans l'atmosphère aux générations futures et qui mettra encore plus de temps à se dissiper. Cette pollution est moins visible, mais bien plus grave selon Jancovici.
• La dépendance aux importations : il y a plusieurs pays producteurs d'uranium et peu de pays qui utilisent l'énergie nucléaire. Si un pays ne veut plus nous en vendre, plusieurs autres le pourront. On peut facilement faire des stocks disponibles pour plusieurs années. La dépendance en uranium est donc beaucoup moins critique que la dépendance en les autres sources d'énergie fossiles ou renouvelables (métaux rares)
Une question se pose alors : si le nucléaire comprend des risques faibles et inconvénients minimes, pourquoi est-il si impopulaire ?
D'après Jancovici, cela a à voir avec une sorte de mythe collectif, entretenu par les médias sensationnalistes. En effet, Tchernobyl a bien marqué les esprits. Une règle universelle est que des morts lors d'un événement ponctuel marquent beaucoup plus les esprits que des morts étalés dans le temps, qui sont moins visibles, ce qui est le cas des morts en conséquence du changement climatique. Pensons par exemple aux morts lors d'un attentat terroriste ponctuel bien moins nombreux que les morts du cancer, d'accidents de la route, du travail, de violences conjugales... La couverture médiatique des différents risques est loin d'être proportionnel au nombre de morts.
En plus, pour les changements climatiques, les morts sont plus indirectes, par exemple dans les guerres futures causées par les pénuries. Le lien de cause à effet est moins palpable, moins direct. Les pollutions engendrées sont quant à elles plus visibles, des déchets à enterrer et non du gaz invisible.
En résumé, tout cela disproportionne dans l'esprit du public les risques et inconvénients du nucléaire, ce qui nous conduit à nous en détourner, risquant des dommages bien plus grands !
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