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Jean Claude Michéa : Pourquoi ne pas autoriser le travail du dimanche ? (2/2)

  • louisfilliot
  • 5 août 2020
  • 5 min de lecture

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Tout est permis mais rien n'est possible


Comme décrit dans le premier article sur Jean-Claude Michéa, la conception libérale de la liberté est de considérer que nos choix ne relèvent que de nous, que nous sommes des individus et non une part d'un collectif, et que tout choix est légitime dans la mesure ou je n'oblige pas les autres à faire ce même choix.


L'absence totale de contraintes pour certains transforme en fait petit à petit la société dans laquelle nous vivons, nous imposant alors des façons de vivre indirectement : essayez de vivre sans téléphone portable, sans voiture ou sans ordinateur maintenant que tout le monde en a un. Certains diront à cela que vous avez toujours le choix de "résister" mais vivre sans internet dans un monde sans internet n'implique pas la même chose, en terme logistique, pratique et social, que de vivre sans accès internet dans un monde ou toute la société est organisée à travers internet. Ainsi vous pouvez toujours résister et faire un choix minoritaire, mais celui-ci vous compliquera la vie et vous isolera bien plus que si ce choix avait été pris de manière collective dès le départ. Il ne faut alors pas se plaindre que peu de gens choisissent ce mode de vie ermite "résistant".


Ainsi, nos choix individuels ne nous concernent pas uniquement nous : ils façonnent la société dans laquelle nous vivons. Pourtant, nous ne les voyons pas comme tels et laissons libre cours aux choix individuels sans jamais choisir et délibérer sur le type de société que nous désirons. Le résultat est résumé par la formule suivante : "Tout est permis mais rien n'est possible"


En effet, la concentration des richesses, qui est permise par cette société sans morale commune, limite également notre facilité d'accès aux conditions matérielles d'existence. On arrive alors à une situation paradoxale où l'excès de liberté pour une petite minorité limite les possibilités pratiques et donc la liberté de la majorité. Tout est permis mais rien n'est possible : en théorie, n'importe qui même le SDF ou le fils d'ouvrier a le droit d'étudier dans les meilleures universités, de créer sa start-up, de placer de l'argent en bourse, faire des placements immobiliers, de partir en vacances à l'autre bout du monde, de se présenter à des élections, devenir député...


Pourtant nous savons bien que tout cela n'est réellement accessible qu'à une petite minorité privilégiée d'entre nous. La grande majorité se heurte à un champ des possibles très restreint : trouver un travail parmi ceux auxquels on peut aspirer suivant nos diplômes, y occuper le plus clair de son temps, puis consommer ce que notre salaire nous permet et ce que la société de consommation nous propose, par la publicité notamment, comme modèle de réussite.


Malgré une apparente liberté infinie dans nos choix de consommation, on voit bien que l'étendue des possibles et des choix de vie est en fait assez restreint. Quand je vivais à Montréal, j'étais souvent surpris par le nombre de personnes vivant une vie très semblable avec des rêves et objectifs photocopiés : une carrière entière au bureau dans le but ultime de se procurer un chalet au bord d'un lac avec accès à l'eau, un pick-up et un bateau à moteur pour aller sur ce lac... Ce but n'est pas atteint par tous, loin de là, mais c'est tout ce dont à quoi on peut se permettre d'aspirer légitimement.


L'exemple du travail du dimanche


L'argument classique du libéral pour autoriser le travail du dimanche est de dire que cela relève du choix de chacun, que mon choix de travailler le dimanche ne vous oblige pas à travailler le dimanche est qu'il n y a aucune raison de m'interdire de travailler le dimanche alors que je suis d'accord pour cela.


La première objection que l'on peut faire à cet argument est présentée de manière humoristique sur le dessin de cet article : pourquoi est-on d'accord pour travailler le dimanche ? Ferais-je le même choix si j'étais suffisamment payé la semaine ?


Ensuite, Michéa explique que notre choix de travailler le dimanche n'implique pas uniquement mon individu : il contribue petit à petit à changer la société dans laquelle on vit et à faire du dimanche un jour comme les autres le "manchedi".

En effet, au fur et à mesure que certaines personnes choisissent de travailler le dimanche, les rythmes collectifs, sociaux, familiaux, associatifs, culturels se désynchronisent. Il n'y a plus ce jour où (presque) personne ne travaille et donc ce samedi soir où on peut tous se retrouver. Dès lors choisir de travailler le dimanche n'implique plus le même sacrifice et devient quelque-chose de normal : la trajectoire logique est alors d’arrêter de surpayer les heures travaillées le dimanche (ce qui était le cas au départ pour convaincre quelques personnes de le faire) : en effet, cela n'a plus de sens vu que beaucoup de monde sont d'accord pour travailler le dimanche.


Ainsi, petit à petit, on peut se retrouver dans une société ou le dimanche est devenu un jour comme les autres où tous les services et boutiques sont ouvertes et où de nombreuses personnes travaillent, même si au départ presque personne ne souhaitait ce changement de société. A aucun moment on ne décide collectivement de la façon dont on veut organiser le travail. Il n'y a pas eu un référendum par exemple demandant si on veut ou non généraliser le travail du dimanche. La conception du libéral est de dire : laissons chacun choisir. Et paradoxalement, en laissant chacun choisir on peut arriver à une situation que personne n'aurait souhaité au départ.


En effet, choisir une société avec un jour non travaillé, c'est choisir une société non uniquement orienté vers la production marchande mais qui réserve un temps commun permettant les activités sociales, amicales et familiales. C'est ainsi une composante indispensable d'une société décroissante.


La décroissance, la sobriété


Jean-Claude Michéa explique avoir décidé de s'installer à la campagne pour expérimenter un mode de vie plus en phase avec sa philosophie décroissante, qu'il résume par "Produire moins mais mieux". Il considère la vie rurale comme plus dure mais plus belle, et qu'elle sera un élément indispensable de la transition décroissante de notre économie vers une production moins importante mais plus utile, plus satisfaisante. Mais pour cela, il faudra éviter le risque de "recréer la ville à la campagne", ce qui serait à craindre avec l'arrivée de néo-ruraux, des citadins voulant plus d'espace mais avec les mêmes commodités qu'en ville, sans les désagréments sonores et olfactifs liés à la ruralité et l'agriculture (engrais, bêtes, chant des cigales, tracteurs, cloche des églises). Il nous a ainsi dit avoir refusé d'éteindre les cloches de l'église attenante lors de la durée de la conférence.


De même que Produire pour produire ou consommer pour consommer uniquement n'a pas de sens, Michéa déclare qu'il est absurde de travailler pour créer des emplois. Si l'on dit à un aborigène qu'on travaille pour créer des emplois, il ne comprendra pas. On travaille pour satisfaire nos besoins, non pour créer des emplois. Créer des emplois n'est pas une fin en soi, l'objectif est de satisfaire nos besoins, envies, voire aspiration collective. Ceci est complètement oublié par le discours médiatique et politique qui ne parle que de la création d'emplois en oubliant à quoi doivent servir les emplois qui ne sont qu'un moyen parmi d'autre de travailler : satisfaire nos besoins, et donc éviter la pauvreté.


Quand on considère le chômage comme un fléau à combattre causant de nombreux morts, on oublie en fait de dire que le véritable fléau qui fait des morts est la pauvreté, la faim, la maladie, le mal-logement, le désespoir et non le fait direct de ne pas avoir d'emplois... Personne ne considère en effet la retraite comme un fléau, même si les retraités sont sans-emploi, car ils ont un revenu garanti et nul besoin de chercher pendant des mois ou des années un emploi.

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